Magenta
La musique d'une époque
Nous avons réalisé cette interview par téléphone et nous ne pourrions pas vous dire qui était au bout du fil, ni son prénom ou son rôle dans le collectif. C’est le jeu pour interviewer Magenta nous a prévenu leur service presse : on ne sait jamais à qui l’on va parler. Au jeu de la roulette russe nous avons gagné une conversation passionnante sur l’anonymat (forcément), les mutations musicales et l’état du monde actuel.
Magenta est le nouveau projet du collectif Fauve qui avait bouleversé la dernière decennie, deux projets très différents mais dans lesquels on retrouve des similitudes : leur marque de fabrique.
La Cordo : On ne sait pas qui se cache derrière Magenta, comme on ne savait pas qui se cachait derrière FAUVE, vous défendez un projet collectif et non pas des individualités. L’anonymat est-il une protection ou une nécessité pour se consacrer à l’artistique ?
Magenta : Déjà l’idée du collectif ça nous permet de mettre en valeur tout le monde : dans un groupe il y a des gens qui ne font pas de musique, qui font de la technique, du clip, de la vidéo et qui font quand même partie à part entière du projet. Quant à l’anonymat à la base c’était une forme de pudeur, de timidité. C’est pas pareil de mettre quelque chose sur internet que de se montrer. Ça nous protège, il n’y a plus de question d’égo. Fauve a eu beaucoup d’écho mais nous, les personnes qui le compose, on a toujours été des inconnus et c’est très bien comme ça. On ne nous a pas reconnus dans la rue, on a pas connu ça et on a pas envie de savoir ce que ça fait.
Jeunes on a grandi avec des groupes de rap, d’électro et aujourd’hui il y n’a plus que des individualités, je ne sais pas si c’est l’actualité, les réseaux sociaux… mais nous on a pas besoin de ça.
La Cordo : on retrouve la notion de collectif dans l’implication que vous voulez donner au public, vous proposez par exemple un groupe WhatsApp . Vous n’imaginez pas créer sans cette dimension collective ?
Magenta : Fauve à la fin on était une vingtaine, une trentaine. Là sur Magenta, on a un groupe, on aime bien discuter et tout ça mais la dimension collective est un peu moins forte parce qu’on est au début du projet. On est obligé de se concentrer sur nous-même pour définir la base du projet, écrire. On aime toutes les contributions.
Tous ceux qui veulent s'approprier le projet sont les bienvenus
La Cordo : On retrouve dans MAGENTA la place importante de l’écriture. Comment composez-vous ? Est-ce le texte qui arrive en premier ?
Magenta : Les textes sont toujours hyper importants ! C’était le socle de Fauve, pour Magenta le socle c’est le son, un beat, une mélodie, une boucle et par-dessus vient se caler le texte. Mettre moins de texte ça peut être plus dur parce qu’il faut choisir le moment parfait pour le chanter sur la mélodie, faut pas se louper.
La Cordo : Au cœur de l’ électro dansant, joyeux et hypnotique vient s’ajouter des textes mélancoliques, parfois désabusés. Ce contraste entre le festif de l’électro et le spleen de l’écriture était-il une volonté dès le début ?
Magenta : Avec Fauve il y avait le texte… comment dire… le texte se résolvait seul, il y avait la volonté de toujours finir par retranscrire quelque chose d’optimiste. Dans MAGENTA les textes sont plus noirs, il y a moins d’espoir mais on arrive à exorciser par la danse. Par exemple un des morceaux parle de l’usure, de la tristesse mais avec un beat ultra dansant.
L’idée c’était de faire de la musique qui danse et qui pense mais avoir l’idée ne suffit pas à le mettre en pratique. On savait ce qu’on voulait mais réussir à le faire correctement ça nous a pris du temps : changer la façon d’écrire, de composer, de faire de la musique.
La Cordo : Vous avez du vous apprendre à composer de l’électro ! Vous l’avez fait avec l’album comme objectif ou sans vous fixer de but ?
Magenta : Si on avait su que ce serait si compliqué on ne l’aurait surement pas fait. C’est comme si tu étais pianiste et que d’un coup tu devais devenir violoniste. Tu pars quasi de zéro et l’apprentissage est très long. Il continue toujours d’ailleurs et on a failli lâcher un paquet de fois. On aurait pu se dire qu’on attendait encore des mois avant de sortir un album mais au bout d’un moment on s’est dit « là on se lance », on a accepté l’idée que c’était une première étape et qu’on fera mieux après. On n’a jamais choisi la facilité et c’est ce qu’on voulait. Aujourd’hui on est fier que ça existe, pas de nos morceaux forcément, mais on est fier que ça existe.
La Cordo : L’électro c’est aussi une nouvelle manière de faire de la musique, une nouvelle manière de faire de la scène. Avez-vous travaillé l’aspect scènique ? Comment avez-vous vécu les premiers lives ?
Magenta : Il y a des choses communes avec nos anciens concerts : la fièvre et l’intensité. Et puis il y a des choses différentes : faire danser les gens qui nous contraint à une autre exigence dans le son. Visuellement c’est diffèrent aussi, quand tu joues avec des machines, c’est une musique qui se sent autant qu’elle se regarde. Faut trouver un équilibre pour que ce soit club, qu’il y ai des phases de danse, d’intensité. Là on est en résidence pour travailler ça, c’est super excitant. On a hâte de jouer devant des gens debout, notre musique elle est faite pour être transpirée.
Nous sommes sensibles mais pas résignés, on va continuer à se battre !
La Cordo : L’année de la sortie de l’album était une année frappée par la crise sanitaire. La sortie de l’album devait se faire coûte que coûte ou il y avait la volonté de créer malgré le contexte ?
Magenta : Ça a changé notre plan par rapport aux concerts. Après des années à geeker dans nos chambres, on avait besoin d’aventure parce que c’est ça aussi qui fait un groupe. Ça nous a impacté au delà du point de vue financier ou d’une date de sortie, ça nous a impacté d’un point de vue humain parce qu’on avait besoin de retrouver un élan commun. On en a profité pour finir l’album, le produire, faire des clips, travailler d’autres choses.
La Cordo : Vous écrivez sur le fait de vieillir et de ne plus comprendre les codes, vous sentez vous décalés par rapport au monde ? Quelle est votre ressenti sur l’avenir des concerts après cette année ?
Magenta : Franchement… l’état actuel du monde nous inquiète plutôt, je ne dis pas ça que pour la pandémie, je dis ça pour la montée de l’extrémiste, pour les questions écologiques. C’est inquiétant et on se demande ce qu’il se passe. On trouve de l’espoir dans la nouvelle génération, nous on a bientôt la trentaine et quand nous on avait 18 ans il n’y avait pas cette volonté de changer les choses. La nouvelle génération est engagée pour l’écologie, le féminisme, contre les violences policières, c’est ça l’espoir ! Les jeunes ne s’en battent pas les couilles et nous non plus ! Je pense que progressivement les gens vont s’emparer des problèmes.
La force d’une mobilisation c’est quand elle s’étend, qu’elle est contagieuse et on a envie de croire à ça. On est sensibles mais on n’est pas résigné, on va continuer à se battre !
Magenta sera en concert à la Cordo le 2 octobre 2021.